Un amour interdit près du tombeau d’Hafez

  C’est à la fois un bout du monde et puis non. Trop de ressemblance pour se sentir vraiment étranger, ou peut être que je m’y étais bien préparé. De nombreuses rencontres m’avaient ouvert le chemin du pays des poètes. Ce n’était pas un hasard. 193 pays dans le monde et je choisis celui-là. Je ressentais le désir de voir derrière les apparences et d’aller encore plus loin. La Route de la Soie m’attendait.

  Le voyage commença à pied pour aller à la gare de l’Est de Paris. Je prenais ce qui fut à l’époque, en 1883, le train mythique, l’Orient Express. Le confort n’est pas le même mais la  traversée de l’Europe et de la Turquie garde de sa magie. Encore plus dans le train quittant Istanbul pour Téhéran. Je fus seul, entouré d’iraniens qui retournaient dans leur pays.  Des paysages à perte de vue, une transition vers l’Orient, une lenteur à savourer avant d’arriver à destination. Ma seconde nuit dans ce dernier train fut un avant-goût de ce que j’allais découvrir. Une joie de vivre s’exprimait sur tous les visages. Mon compagnon de cabine m’invita à s’assoir à sa table, une bière offerte, la musique iranienne sur des petits haut-parleurs branchés à un ordinateur et tout le monde qui m’incitait à danser. Je crois n’avoir jamais autant dansé dans un pays étrangers. Le train turc s’arrêta au lac de Van, un ferry nous attendait pour le traverser, accompagné d’un somptueux coucher de soleil. C’était les derniers instants pour ces voyageurs. Ils chantaient leur dernier poème, leur dernier cri.

  J’ai du mal à dire que j’étais aussi bien dans leur pays, je me dis toujours que je ne suis qu’un étranger. La vie de tous les jours pour un habitant est bien différente. C’était une remise en question de soi quand la générosité et la solidarité découlent d’un simple pas; un attachement quand ils sont prêts à tout pour vous aider, même à mourir de soif en plein ramadan pour trouver votre chemin; mais aussi une tristesse quand la jeunesse rêve d’un eldorado qui ne pourra tous les satisfaire ; un espoir quand je les vois avec tant de vie et de joie et ; une admiration quand je ressens leur force et une attitude digne et sans lamentation.

  Que chercher d’autre que le partage d’une simple vie, la musique et le frappement des mains dans les voitures nous emportaient dans les jardins de Téhéran pour un repas en famille. Un regard vous sourit, un poème est prononcé en persan et me berce, je m’endors. Allongé sur un tapis, l’eau chauffe pour le thé préparé au bord de la route ou du chemin, le temps lui-même se repose avec une chaleur qui emporte chaque après-midi les iraniens dans les songes. Au même moment, dans une ville lointaine du sud, un calme embaumé d’une musique reposante, sur un banc caché par quelques arbres du jardin, un amour interdit  se prononce au côté du tombeau d’Hafez.

Comments
One Response to “Un amour interdit près du tombeau d’Hafez”
  1. Kimiya dit :

    Ton article me rend encore plus fière de mes origines, et je travaille a en être la digne héritière… merci a toi..

«Vous avez le choix, messieurs dames, et peut être aussi avez-vous votre idée. Nous l’attendons.» A.L.